Le festival qui a lieu jusqu’au 18 septembre révèle une relève fonceuse et diverse.
Le son balance loin. Il est amplifié par la couronne d’immeubles rutilants du quartier Griffintown. C’est la fête dans ce coin industriel historique reconverti depuis dix ans en zone résidentielle branchée dans le sud-ouest de Montréal. Le festival Quartiers Danses hausse les potards (potentiomètres), dimanche 11 septembre, pour attirer le badaud autour de sa scène en plein air. Un carré de pelouse, deux oriflammes rose et bleu, des coulisses à vue pour se maquiller en riant, et le show s’élance à fond le gazon.
Jaune, vert, orange, une bulle Bollywood pop éclate, télescopant le solo musclé d’un danseur en petite robe noire et collier de perlouzes. Pas le temps de souffler, une étreinte délicate imbrique un homme et une femme paralysée de naissance. Durant une heure, sept performances aux antipodes esthétiques s’additionnent avec un point commun : la majorité des interprètes a moins de 25 ans et ils signent pour la plupart leur premier spectacle.
Cette « vitrine découverte », très applaudie par un public attentif, reflète l’esprit de la manifestation créée il y a vingt ans par Rafik Hubert Sabbagh. Chaque jour, depuis le 7 jusqu’au 18 septembre, Quartiers Danses essaime des rendez-vous dans dix lieux dont la place des Arts, en plein centre, et les Jardins Gamelin qui concentrent des dizaines d’itinérants – le mot local pour sans-abri. « Contemporain, hip-hop, africain, lorsque j’ai démarré dans les zones pauvres de la ville, on trouvait ma programmation trop hybride, s’amuse le directeur général et artistique. Aujourd’hui, on me dit que j’étais visionnaire et elle est devenue… inclusive ! » Et d’ajouter : « Elle est surtout, en extérieur et en salles, accessible et ressemble aux habitants de Montréal avec toutes les cultures et les couleurs. »
Dehors et dedans, de la périphérie au centre, Quartiers Danses, qui se déroule aussi dans le beau studio-théâtre des Grands Ballets canadiens, a gagné ses galons. Au regard des institutions comme notamment l’Usine C, qui annonce Jan Martens et Dimitris Papaioannou, ou Danse Danse qui fait voisiner Pina Bausch avec Hofesh Shechter, il se distingue par son ancrage urbain et une identité éminemment montréalaise. « Francophone et anglophone », précise Rafik Hubert Sabbagh, qui affiche 30 compagnies locales et 9 internationales dont le Malandain Ballet Biarritz.
L’attrait du festival réside dans son soutien massif aux jeunes pousses. Adrian Batt, 24 ans, et Pauline Gervais, 25 ans, tous les deux frais diplômés de l’École supérieure de ballet du Québec, y ont fait leurs premiers pas il y a cinq ans. Dimanche 11 septembre, le premier a créé un duo masculin très physique tout en retournements vifs, intitulé Stichomythie. « S’
La relève fonceuse ne laisse pas oublier les figures-phares québécoises. « L’histoire de la danse et le dialogue intergénérationnel comptent beaucoup pour moi », affirme le patron du festival. De la même souche que les stars Edouard Lock et Marie Chouinard, Louise Bédard, Prix de la danse de Montréal en 2018, proposait Odalisca, superbement interprété par Scott McCabe. Sur une musique de John Cage, en kilt bleu, il affûte une série de poses sous influence des femmes langoureuses peintes par Ingres et Delacroix. Également en solo, Charles Brécard, tout de noir vêtu, s’arrache dans une vrille à bout de souffle. Quant à Samuel Tétreault, artiste de cirque expert en équilibre sur les mains, cofondateur et codirecteur de la fameuse troupe québécoise des 7 Doigts de la main, il livre dans Geysers,l’autoportrait
La diversité selon Rafik Hubert Sabbagh passe forcément par la reconnaissance des autochtones. Avant chaque représentation, une annonce rappelle que la manifestation a lieu « sur le territoire non cédé Tiohtiake, autrement dit “Montréal” ». « C’est une façon de respecter les peuples autochtones d’ici, explique la chorégraphe Barbara Kaneratonni Diabo. L’île de Montréal est référée au territoire non cédé de ma nation, les Kanien’ keha:ka [Mohawks], qui en sont les gardiens. » Soutenue depuis quatre ans par Quartiers Danses, elle est également aux manettes d’ateliers avec des itinérants de sa communauté. Parallèlement à ses créations, au carrefour du contemporain, du hip-hop et des danses traditionnelles, elle a réalisé en 2020, dans le cadre des productions numériques défendues pendant la pandémie de Covid-19 par Quartiers Danses, le film Smudge. Il sera programmé en janvier 2023 au Musée des beaux-arts, à Rennes, lors de l’événement Ciné-Corps.
Dégager des tournées à l’étranger est l’un des objectifs du festival. Très peu de débouchés s’offrent aux artistes au Québec et au Canada. « Le Festival Quartiers Danses est un tremplin pour nous », affirme Andrea Peña, 30 ans, dont le nom commence à circuler à l’international. À la tête de sa compagnie depuis 2014, elle a ouvert, le 31 août, la Tanzmesse Internationale de Düsseldorf, énorme marché du spectacle. Sa pièce, saisissante, Untitled I et III, met en scène deux hommes et une femme torse nu en string couleur chair. Elle assène une écriture crue, athlétique sur le fil d’une partition répétitive de bonds, torsions au sol et roulades.
Pour célébrer ce vingtième anniversaire, une vingtaine de diffuseurs d’Espagne, d’Italie, de Bulgarie, du Portugal, d’Autriche, d’Islande, du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont rejoint les rangs des spectateurs. « Les chorégraphes nord-américains ont toujours eu besoin de l’Europe pour tourner, souligne François Noël, directeur du Théâtre de Nîmes. J’aime beaucoup Quartiers Danses, car j’y fais des découvertes que l’on ne voit pas chez nous, comme Nicolas Zemmour, ex de chez Angelin Preljocaj, désormais installé ici. La scène chorégraphique montréalaise est très riche, mais ce qui me fascine le plus, c’est sa jeunesse débordante d’envies de s’exprimer et ça fait beaucoup de bien. »
Quartiers Danses, Montréal. Jusqu’au 18 septembre.
Article de la journaliste Rosita Boisseau, publié le 16 septembre 2022 pour le journal Le Monde